En Europe, les débats politiques se poursuivent sur la réforme du SCEQE, afin de contribuer à la réalisation des objectifs de réduction des émissions de l’Union européenne. Thibaud Clisson résume les dernières évolutions et nous livre ses perspectives.
L’avenir du système d’échange de quotas d’émission de l’Union européenne (le mécanisme central de réduction des émissions de l’Union qui encadre près de 40 % des émissions de l’UE) a fait l’objet d’âpres discussions afin de trouver un compromis entre les ambitions de son plan climatique « Fit for 55 » et le besoin urgent d’une sécurité énergétique accrue après l’invasion de l’Ukraine par la Russie et les sanctions qui en découlent sur le pétrole et le gaz russes.
Ces antagonismes ont certes retardé la décision portant sur l’avenir du SCEQE au mois de juin dernier, mais depuis, à la suite d’un accord de compromis, il a été décidé que les émissions des entreprises utilisant le SCEQE devront être réduites de 63 % d’ici 2030. Ce chiffre est supérieur à la proposition de la Commission européenne, qui prévoyait une réduction de 61 %. Le Parlement européen s’est également prononcé en faveur de la fin des quotas d’émission gratuits attribués par l’UE aux différents secteurs d’ici 2032, avec une élimination progressive à partir de 2027.
Les députés ont également soutenu le projet de taxe carbone aux frontières (ou mécanisme d’ajustement carbone aux frontières – MACF) et l’extension du SCEQE au transport maritime international – couvrant toutes les émissions du transport maritime entrant et sortant de l’UE d’ici 2027.
Durcissement des règles et prix du carbone
L’anticipation du durcissement des règles relatives au SCEQE, notamment la diminution de l’offre de quotas gratuits, avait dès le début de l’année entraîné une augmentation du prix des quotas à près de 100 euros. Il est actuellement proche de 85 euros. Les prix pourraient continuer à baisser sous l’effet du ralentissement économique et du train de mesures de l’UE intitulé « Économiser du gaz pour un hiver en sécurité » (Save Gas for a Safer Winter). Ces deux facteurs pourraient réduire la demande en gaz jusqu’au printemps prochain
À long terme, cependant, les prix du carbone devraient conserver une tendance haussière, certaines projections tablant sur un prix de 150 euros en 2023 sur la base de facteurs de réduction linéaire potentiels.
Les inquiétudes concernant le rôle des investisseurs extérieurs au SCEQE qui détiennent des quotas européens ont conduit certains acteurs du marché à demander à l’UE de mettre un frein à l’activité spéculative de ces acteurs « non conformes ». La Pologne a par exemple demandé que des mesures soient prises pour empêcher les spéculateurs financiers d’intégrer le système. Des mesures de rétorsion à leur égard pourraient réduire les volumes d’échanges et la liquidité du marché.
Cependant, dans un rapport récent, l’Autorité européenne des marchés financiers (ESMA) a montré que l’activité spéculative ne représentait que 4 % des échanges. En outre, la Banque centrale européenne en est venue à la conclusion que la spéculation avait une incidence limitée sur les prix. Le Parlement européen souhaite néanmoins que la participation des investisseurs aux échanges de quotas d’émission soit limitée.
Un prix pour les émissions importées
La taxe proposée sur les émissions transfrontalières exige que les entreprises étrangères paient un prix sur le carbone émis par les marchandises importées. Ils devront donc acheter des certificats issus du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (CBAM) pour les émissions générées par leurs importations, le prix reposant sur le prix d’échange moyen des quotas du SCEQE lors de la semaine précédant l’importation. La liste initiale des biens concernés comprend le ciment, l’électricité, les engrais, le fer et l’acier, ainsi que les produits en aluminium.
Le Parlement européen souhaite étendre le champ d’application du CBAM afin que les produits chimiques organiques, les plastiques, l’hydrogène et l’ammoniac y soient également inclus.
Une taxe sur le carbone à la frontière n’affectera pas directement le prix des quotas européens, mais les entreprises nationales recevront moins de quotas. Sans compter le fait que la mise en œuvre du CBAM pourrait faire augmenter les prix.
Ce mécanisme pourrait également encourager d’autres juridictions à élaborer des politiques climatiques sur la base de normes similaires à celles de l’UE. Le Kazakhstan a par exemple mis au point sa propre taxe sur le carbone pour éviter de payer intégralement le mécanisme CBAM – ses exportations vers l’UE représentant 40 % du total de ses exportations.
Selon nous, les investissements les plus précoces dans les technologies facilitant la transition énergétique, comme celles mises en œuvre dans différentes filières de production d’acier à l’aide d’hydrogène vert, vont gagner en pertinence d’un point de vue économique à mesure que les quotas gratuits seront supprimés et que la taxe à la frontière entrera en vigueur. Cela vaudra également pour d’autres secteurs industriels.
Actuellement, les sidérurgistes européens sont désavantagés par rapport à leurs rivaux non européens qui n’ont pas à payer leurs émissions dans le cadre du SCEQE. La taxe à la frontière devrait lever cet obstacle et stimuler les initiatives mondiales des sidérurgistes – et d’autres industries – en faveur de la décarbonation.
Résorber les émissions des autres secteurs
La Commission européenne a également proposé qu’un système d’échange de quotas distinct, couvrant les émissions du transport routier et des bâtiments, soit lancé en janvier 2024.
Réduire les émissions de ces secteurs sera essentiel pour réaliser les ambitions du plan « Fit for 55 ». Si les émissions de l’UE liées à la consommation d’énergie ont diminué, les émissions de l’immobilier résidentiel et commercial sont restées relativement stables, tandis que celles des transports ont augmenté.
Recourir à un système d’échange de quotas d’émission pour lutter contre les émissions des transports et des bâtiments de l’UE – plutôt que d’appliquer des normes – alimente toutefois les polémiques. La Fondation européenne pour le climat a constaté qu’un tel système augmenterait le coût de la vie sans réduire les émissions de manière significative. D’autres observateurs sont plus positifs. L’objectif de la Commission est que le SCEQE réduise les émissions combinées des routes et des transports de 43 % d’ici 2030.
Les membres du Parlement européen ont finalement décidé que le nouveau SCEQE ne s’appliquerait qu’aux bâtiments commerciaux et aux transports – et non aux citoyens – jusqu’en 2029. Le prix des quotas sera plafonné à 50 euros et la Réserve de stabilité du marché du SCEQE permettra d’ajouter des quotas sur le marché si le prix dépasse ce niveau d’ici 2030.
Une partie des revenus générés par la vente des quotas du SCEQE de 2è génération serait versée au Fonds social pour le climat de l’Union européenne afin de soutenir les familles défavorisées.
Les investisseurs envisageant de rénover des bâtiments ou d’utiliser des énergies renouvelables doivent savoir que la Commission européenne a déclaré que l’établissement d’un prix du carbone dans le secteur de la construction ne permettra pas à lui seul de lever les obstacles à ces mesures. Les réglementations des États membres relatives à la performance énergétique des bâtiments dans le cadre du Règlement européen sur la répartition de l’effort joueront un rôle important à cet égard. Il faudra surveiller leur évolution.
Dans l’ensemble, les mécanismes du SCEQE sont favorables à une accélération du processus de décarbonation. L’augmentation des prix devrait offrir des opportunités pour les vendeurs de quotas. En tant que vendeurs, les entreprises qui parviennent à décarboner leurs activités plus rapidement que leurs homologues devraient bénéficier d’un avantage concurrentiel.
Avertissement
